Sandy Leclerc, éducatrice spécialisée formée à la langue des signes, a été embauchée par l’entreprise vendéenne Brio’gel comme « interface de communication » auprès de salariés sourds (photo : A. Penna).
Blouse blanche, charlotte
sur la tête sans un seul de ses cheveux bruns qui dépasse et chaussures de
travail. Quand on la croise en « production » - là où Brio’gel
produit pains, brioches et pâtisseries congelés pour la revente - on la prend
pour une ouvrière. Quand elle revient s’asseoir en « habit de ville» dans
son bureau partagé avec du personnel administratif, on ne la remarque pas non
plus. Pourtant, Sandy Leclerc, pétillante jeune femme de 42 ans, a un profil
vraiment atypique pour une entreprise agro-alimentaire. Et même pour une
entreprise en général. Éducatrice spécialisée parlant la langue des signes,
elle a été embauchée par Brio’gel en janvier 2011, comme « interface de
communication » : pour faire le lien entre l’entreprise et ses salariés
malentendants. D’abord à mi-temps, aujourd’hui à 80 %.
Volonté de la direction
Elle est le maillon fort d’un
enchaînement parti d’en haut. En 2004, le patron de Brio’gel Christophe Babarit,
un ancien instituteur et un gars du coin, commence par donner sa chance à une
personne sourde habitant Saint-Georges-de-Montaigu, la commune où est implantée
l’entreprise. Puis pour qu’elle ait de la compagnie, il embauche d’autres
personnes malentendantes. Seule
adaptation nécessaire de leur poste : une alarme vibrante dans leur poche,
pour les prévenir si un four prend feu. Mais c’est en terme de communication
que leur intégration pose problème, comme le constate Frédérique Cosson,
directrice des ressources humaines (DRH) : « Apprendre
le travail, ça roule, mais la difficulté est la confrontation avec les collègues».
L’entreprise fait donc appelle à l’URAPEDA, une association qui aide les
employeurs ou les centres de formations à intégrer des déficients auditifs dans
leurs équipes.

Sandy Leclerc fait aujourd’hui partie intégrante de l’entreprise dont elle a dû comprendre le fonctionnement pour pouvoir l’expliquer aux salariés malentendants (photo : A. Penna). .
Et c’est ainsi que Sandy
Leclerc, salariée de cette
association de médiation, débarque régulièrement à Brio’gel pour y faire de la
traduction, du conseil et de la sensibilisation. Jusqu’à y être embauchée début
2011, quand la direction de cette entreprise de 140 salariés décide d’avoir quelqu’un au quotidien…
au moment même où Sandy Leclerc est licenciée de l’URAPEDA, en faillite.
Le hasard fait parfois bien les choses, la volonté aussi.
C’est sincèrement que la DRH
Frédérique Cosson et son patron joignent les actes à la parole : « On tenait à faire vraiment le nécessaire
pour que nos salariés en situation de handicap soient bien au travail. »
Mais, pour utiliser le
vocabulaire des dirigeants, est-ce un investissement vraiment rentable ? « Certes Sandy ne produit pas
directement, mais elle produit du bien-être pour les salariés sourds... et
aussi pour tous les autres. La communication est facilitée, les tensions sont désamorcées,
la production n’est pas parasitée. Au final, c’est un temps précieux de gagné !»,
argumente avec enthousiasme la DRH. Elle ajoute : « on ne veut pas embaucher des personnes en situation de handicap
juste pour faire beau dans le décor et répondre à l’obligation de 6 %. » Sandy
Leclerc réagit : « si c’était
votre philosophie, je ne m’y retrouverais pas !»
Une place à prendre et un poste à inventer
Au début pourtant, Sandy
Leclerc l’avoue : « Ça n’a pas été
facile de trouver ma place. » Que
ce soit dans les bureaux au milieu des comptables ou en production entre les
techniciens et les ouvriers. « Moi
qui étais toujours restée dans le médico-social, je n’avais plus de repères. »
Éducatrice spécialisée de formation, elle est intervenue plus de 13 ans en ITEP
(Institut thérapeutique, éducatif et pédagogique) et en FAM (Foyer d’accueil médicalisé).
Avant de « mettre tous les œufs dans
le même panier » : ayant appris à parler la langue des signes pour
communiquer avec sa fille aînée, sourde de naissance, elle se décide à
travailler dans le social en utilisant cette compétence. Elle rejoint alors l’URAPEDA
et commence à entrer régulièrement dans des entreprises… jusqu’à faire partie
intégrante du personnel de l’une d’entre elles, à entrer sur la grille de la
convention collective des pâtissiers-boulangers et à vivre toute la journée
dans l’odeur de brioche.

Sandy Leclerc, travailleuse sociale, n’hésite pas à donner un coup de main aux salariés sourds, tout en échangeant avec eux (Photo : A. Penna).
« J’ai pris des kilos », rigole Sandy Leclerc, petit bout de femme qui a dû
les reperdre depuis. Il faut dire qu’elle s’active. Elle passe du temps en bas
en production, fait des aller-retour avec son bureau en haut. Et au fur-et-à
mesure des besoins repérés et de son expérience, elle se créée un poste sur
mesure. Intervention quotidienne au coup par coup ou lors de réunion ;
traduction orale, en symboles écrits ou en images de consignes ;
publication de guides ; initiation du personnel entendant à la langue des
signes…
« Ma posture avec
les autres salariés est de ne pas nier la réalité : je commence toujours
par leur dire “je sais que ce n’est pas facile d’avoir des collègues sourds”. »
A force de patience et de bienveillance, la grande majorité semble avoir
compris l’intérêt de travailler ensemble.
« Tout le monde dit bonjour en langue des signes… même s’il y a sûrement
encore quelques moqueries dans le dos. »
Pour être encore plus
performante pédagogiquement, l’éducatrice
spécialisée est devenue la première entendante à passer un certificat d’« animation
en langue sourde » à l’école STEUM. En février et mars 2012, elle a encore fait
passer un cap à la démarche de son entreprise : 13 volontaire ont suivi 63
heures de formation en langue des signes. D’autres groupes devraient suivre.

Nadège Douillard, salariée sourde, discute avec une collègue formée à la langue des signes par Sandy Leclerc, sous le regard bienveillant de cette dernière (photo : A. Penna).
Recrutement difficile
Maintenant que la dynamique
est lancée, Brio’gel se heurte au problème de recrutement. Aujourd’hui, elle n’emploie
que 3 personnes sourdes, un malentendant avec une déficience légère et une
personne déficiente mentale. Le-bouche-à-oreille fonctionne, mais cela ne
suffit pas. « Il n’y a pas un
pourcentage énorme de personnes sourdes dans le coin et ceux plus loin
redoutent de faire trop de route. »
Sandy Leclerc a eu pas mal de déceptions,
des abandons de poste après quelques jours seulement d’essai. « Beaucoup de personnes en situation de
handicap ont trop l’habitude d’être en milieu protégée, en sortir leur fait
peur. » Alors comme quand ce matin là, un entretien d’embauche se
solde par un recrutement à venir, Sandy Leclerc et sa DRH ont le sourire.
Le même sourire plein de
sens que fait Caroline Asseray, salariée sourde de 43 ans, quand elle aperçoit Sandy
Leclerc venir lui filer un coup de main à la manutention des pains sortant du
four. Entre deux fournées, elle lui fait part de ce qui va ou non. Cette mère
de famille qui sait lire sur les lèvres, n’aurait jamais posé sa candidature à
Brio’gel si elle n’avait pas appris dans le journal qu’une médiatrice y
intervenait quotidiennement. Elle fait la route depuis Cholet (49) et s’apprête
à déménager puisqu’elle vient de signer un CDI. Un vrai boulot pour cette femme
qui galérait dans les ménages avant d’arriver ici en octobre 2011.

Caroline Asseray, salariée sourde, ne serait pas venue et restée à Brio'gel sans la présence d'une "interface de communication" (photo :
A. Penna).
Nadège Douillard, 26 ans,
travaille, elle, au contrôle et à l’emballage depuis 3 ans. Sandy Leclerc doit
bientôt lui expliquer le fonctionnement d’une nouvelle ligne de production. Récemment,
cette dernière est intervenue pour régler un malentendu entre la jeune salariée
sourde et un membre de l’équipe. Aujourd’hui, l’ambiance est détendue. Nadège
Douillard et Sandy Leclerc encouragent à « signer » une collègue qui
a passé la formation longue à la langue des signes.
Caroline ou Nadège le disent
avec leurs mains : « La présence de
Sandy facilite la communication, c’est important pour nous !» Fort de cette
constatation, d’autres entreprises se disent intéressées. « Tant mieux », s’enthousiasme Sandy Leclerc, toujours prête
à l’échange et désormais forte de sa double casquette industrielle et sociale.
Armandine Penna